GLORY AND GORE

(ONE) Gamine abandonnée. Laissée devant une porte. Un bébé sans mère, un bébé sans père, un bébé sans terre. Adele a grandi entre un orphelinat et la communauté banshee. Tout ça est flou désormais. Elle sait qu'elle s'enfuyait de partout, qu'elle ne se faisait jamais d'amis. Elle refoulait le contact humain, elle faisait de l'oeil à qui voulait. Seule. Contradictoire. On ne l'a jamais comprise, Adele, même quand elle était gamine. (TWO) La gamine loin des autres s'est réfugiée dans les couleurs. Dans le dessin. Elle griffonnait partout, sur ses propres bras, sur des carnets trempés par la pluie de juillet, sur des coins de bitume abandonnés. Puis un jour, on lui a donné une grande toile blanche. Des pinceaux. De l’acrylique. Une aquarelle, aussi. Et elle a tracé, tracé cubes et traits, tracé jusqu'à en crever, déchaînée par ce flot d'inspiration en elle. Elle s'est endormie sous sa toile. Endormie sous son chef d'oeuvre. Elle aurait pu faire les Beaux Arts, Adele. Elle aurait du tout plaquer pour parcourir le monde, visiter musées et galleries. (THREE) Elle a étudié à Tulane et à Loyola. Sous un différent nom chaque fois. Elle n'a jamais eu l'argent nécessaire. Les quelques bourses qu'elle a réussi à avoir n'ont pas suffit alors elle a fraudé. A donné un faux nom, a trouvé quelqu'un à extorquer, a couvert ses arrières comme elle pouvait. Elle a un diplôme en histoire de l'art et arts appliqués de Tulane. A Loyola, elle a voulu changer. Trouver quelque chose de plus objectif, quelque chose qui pourrait peut-être lui servir. Des études d'architecture arrêtées nets quand on a découvert qu'elle ne pouvait plus payer. Un autre rêve parti en fumée. (FOUR) Un don pour la voyance. Donnez lui une boule de cristal, une boule de cristal utilisable -- pas les merdes que l'on trouve dans le Vieux Carré -- et elle verra flashs de lumières et visages plus ou moins connus. C'est pas toujours facile à interpréter. Parfois ça lui fait plus peur qu'elle ne voudrait l'admettre. Parfois elle se demande, pourquoi moi. Pourquoi on me colle des dons comme ça, pourquoi vous me forcez à regarder des regards terrorisés. Pourquoi est-ce que je vois des familles enjouées. Pourquoi je vois un amour maternel, un truc que je ne connaîtrais jamais. Pourquoi est-ce que même mon subconscient semble me dire que je ne mérite rien. Putain. (FIVE) Un don pour les emmerdes, aussi. Il a fallu trouver du fric. Vendre des tableaux, ça rapporte pas assez. Alors elle a vendu d'autres choses. Elle dealait au bar de Silas, elle dealait dans les rues, devant les lycées. Elle vendait de la drogue, elle vendait son corps quand il fallait. Les hommes sont faibles, prêts à tout pour un peu de chaleur humaine. Et Adele est prête à beaucoup pour quelques billets, pour un joint bien corsé, pour un moment de liberté. Elle n'faisait pas les trottoirs, elle dit même à ces gamines-là de rentrer chez elles, elle a peur pour leur peau, peur pour ces faux manteaux en fourrure qui sont au bord du gouffre. Non, Adele avait juste des rapports... privilégiés avec certains de ses dealers. Et c'est comme ça qu'elle s'en sort, qu'elle s'en sortait. (SIX) Attrapée la main dans le sac par ceux qui dirigent. Par ceux qui obligent. Envoyée au manoir Glazkov comme chair nouvelle, pour y faire ce que demande son maître. Lev. Lev qu'il s'appelle. Lev, elle voudrait lui cracher de l'acide à la gueule, Lev, elle voudrait qu'il crève sous le son de ses propres ordres. Mais pour la première fois de sa vie, Adele se contente d'obéir sans rien dire. Elle sait qu'elle n'a pas le choix. Elle sait qu'elle se doit de faire ce qu'il demande, sous peine de tout foutre en l'air, sous peine de se retrouver six pieds sous terre. Alors elle essaye de comprendre celui qui l'a possède. Comprendre les aspects de rage et de colère, comprendre ce qui n'va pas chez lui, comprendre sa haine du monde. Il est seul. Elle sait qu'il est seul. Parfois, elle voudrait qu'il soit un peu moins seul. Peut-être qu'alors, enfin, il mettrait en marche sa conscience. Il deviendrait un tant soit peu humain. (SEVEN) La vie n'a plus vraiment de sens. Quand elle se faufile dehors, hors du manoir qui l''emprisonne, profitant des quelques heures de liberté accordées par Lev, Adele ne sait que faire. Elle a récupérée son job au bar, mais c'est fade. La vie est fade. La vie est en sépia et la vie lui donne froid. Elle tire sur sa cigarette derrière le manoir pour ne pas se faire voir, elle dépense tout ce qu'elle a pour se rouler des joints derrière le comptoir. Elle n'a plus de but, elle ne sait plus quoi faire. Glazkov ne dit rien si elle sent l'odeur épicée de ce qu'elle trafiquait avant. Tant qu'elle fait ce qu'il dit, tant qu'elle le fait bien et rapidement, il ne dit pas grand chose. Mais elle a quand même peur, Adele. Elle ne veut pas mourir. Même dans cette vie de merde, elle ne veut pas clamser. Même seule, sans personne à qui se confier, sans personne à aimer, elle veut pouvoir se raccrocher à quelque chose. Une ancre au milieu d'une dystopie qui lui fend le ventre. Elle la cherche. Sans succès. Elle voudrait crier à l'aide. Elle voudrait qu'on la sorte de là. Mais pour une gamine qui n'a jamais dit "s'il te plaît", une gamine qui a toujours repoussé tout et rien, une gamine sans attaches, une gamine synonyme de liberté lorsque liberté veut dire solitude, c'est beaucoup trop dur.